mercredi 25 mai 2016

Chapitre 8: La reine d'Isla Nublar

Chapitre VIII
La reine d’Isla Nublar


     Marc sortit son petit portefeuille en cuir noir de sa poche arrière. Il déplia celui-ci, prit la carte bancaire d’un des compartiments et l’emboîta dans l’appareil. Il se trouvait actuellement au comptoir d’accueil du restaurant spécialisé dans les grillades. Ce comptoir était en bois avec l’enseigne Winston’s en métal qui dépassait et créait un effet 3D.
     Le serveur, un jeune homme souriant vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, rendit la carte à son propriétaire avec un large sourire et le remercia en lui souhaitant une agréable journée. Les Smith lui rendirent la pareil et quittèrent le restaurant le ventre plein.
     Marc tapota le sien grossièrement en le gonflant.
     - Je ne sais pas vous  mais j’ai trop mangé !
     Lizzy Smith émit un rire qui raisonna dans Main Street.
     - Mange, tu ne sais pas qui va te manger, renchérit-elle.
     La famille se trouvait en face du Samsung Innovation Center avec ses magnifiques fontaines qui produisaient des clapotis apaisant. L’avenue principale n’était gère pleine comparé à plus tôt. Un élément soigneusement planifié par Marc qui avait su comprendre quand les visiteurs allaient partir manger dans les différents restaurants et services que proposaient le parc. C’était le principal point fort du père de famille. Tout ce qu’il pouvait planifier, il le planifiait. Tout. Evidement, pour ce petit week-end à Jurassic World, il avait tout préparé comme un général prépare sa stratégie. Seul lui et Lizzy connaissaient le plan, pour ne pas leur gâcher la surprise. Marc le connaissait sur le bout des doigts.
     Un portail se dressait sur leur gauche tel un nouveau monde, un territoire non contrôlé par l’Homme : Le Tyrannosaurus Rex Kingdom. L’attraction phare du parc, celle rencontrant le plus de succès –après le Gentle Giant Peeting Zoo- auprès des très nombreux visiteurs voulant observer et admirer le « Roi des lézards tyrans ». Parfois, quand on se baladait sur les rives nord du lagon, on pouvait entendre le puissant rugissement de l’animal qui se répercutait sur les montagnes, faisant envoler un nombre incalculable d’oiseaux. Il pouvait même arriver parfois qu’il réponde à celui projeté dans l’attraction IMAX Pterosauria.
     Le portail ressemblait quelque peu à celui aperçut plus tôt, traversé par le monorail. Le nom du parc était attaché en haut, perché à une dizaine de mètres du sol. A côté, un troupeau de visiteurs de nationalités différentes sortirent de la station de monorail du coin.
     - On peut y aller ? Demanda John, pressé de découvrir son dinosaure préféré.
     - C’est parti, lança Lizzy avant même que Marc n’ouvre la bouche.
     Ils passèrent juste en dessous du portail qui les dominait. John l’inspecta dans les moindres détails en passant. De la petite fissure jusqu’aux petits plis des fausses pierres. Le large chemin bétonné se divisa en deux. Les Smith prirent la partie de droite instinctivement, bercés par une musique d’ambiance qui sortait des plantes qui se trouvaient sur les bords. Elle était composée de tambours et d’autres instruments à percussion qui produisaient  une sorte de musique guerrière. Des voix masculines viriles l’accompagnaient renforçant le côté tribal et l’impression de pénétrer dans un monde préhistorique.
     Ils se trouvaient dans un grand couloir à l’air libre bordé de murs en fausse pierre. Des plantes tropicales avaient été soigneusement installées près de ces murs sur des cailloux blancs. Une nuée de cloueurs resplendissait dans les lieux avec de splendides fleurs importées du monde entier. La famille arriva dans un espace moins restreint mais toujours entouré des faux murs. Un labyrinthe de barrières se formait devant eux avec d’autres visiteurs. Marc et sa famille prirent une voie sur la gauche, spécialement réservée pour les visiteurs possédant un RaptorPass.
     Les briques sur le sol venaient d’être lavées et étaient encore humides. Cette humidité se sentait dans l’air avec des brumisateurs qui vaporisait de l’eau sur les visiteurs en quête de fraîcheur et de sensations fortes.
     Une voix de femme –la même que sur le quai et Main Street- sortit des hauts parleurs :
     - Bienvenue au Royaume du T-rex, nous vous rappelons que cette attraction est susceptible d’impressionner les plus jeunes.
     Clarissa ne put s’empêcher de se moquer de son frère.
     - N’est-ce pas John ? Fit-elle sur un ton supérieur.
     John savait ce qu’il allait lui répondre, il avait de la réparti.
     - Dit celle qui pleure dès qu’elle voit une araignée… Commenta t-il.
     Marc, qui suivait la scène avec amusement, ne pu se retenir d’aider son fils.
     - Et 1 à 0 pour John ! Clarissa tu peux retourner te coucher.
     - C’est parti, ils vont recommencer… Se plaignit Lizzy. Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Ca allez mieux depuis tout à l’heure pourtant.
     - C’est lui qui a commencé ! Mentit sa fille.
     - Quoi ?! Arrête de fumer des fougères, je ne t’ai rien fait !
     Marc, voyant la situation dégénérer, décida d’intervenir puisque c’était son rôle en temps que père de famille de faire la loi. Mais aussi pour paraître bien aux yeux de sa femme.
     - Stop ! On va se calmer et attendre que le spectacle commence. D’accord ?
     John et Clarissa se tournaient le dos, en croisant les bras comme ils le faisaient à chaque fois qu’ils se chamailler.
      Un panneau bleu turquoise était accroché juste à leur gauche. Il s’agissait d’un panneau informatif que l’on retrouvait dans chaque attraction.
      On pouvait lire :

« T-REX NOURRIT DANS 2 MIN 00 »

     Ces 2 minutes furent interminables en raison de la chaleur qui s’accumulait dans ce petit espace et des nouvelles chamailleries entre les deux adolescents. Ils se disputaient pour des raisons insignifiantes, allant du « tu m’as donné un coup de coude » à « rends-moi ma brochure ! ».
     Puis un employé descendit les petits escaliers métalliques en vitesse, clefs à la main. Il ouvrit la petite barrière en métal marron devant les Smith pour qu’ils puissent rentrer avant de la refermer à nouveau. Il procéda de la même manière avec les visiteurs lambda –ceux qui n’avaient pas de RaptorPass. Marc, Lizzy, John et Clarissa étaient en tête de fils, accompagnés d’une armée de visiteurs voulant apercevoir un Tyrannosaure. Un animal ressuscité par le pouvoir de la génétique…
     Ils se trouvaient dans une sorte d’énorme tube boisé pouvant laisser entrer facilement des personnes de plus de 2 mètres de haut. L’intérieur était recouvert de bois par endroit, d’autres étaient peint en marron ou en beige. De longues doubles baies vitrées s’étendaient sur des dizaines et des dizaines mètres. Elles permettaient de laisser passer de la lumière et voir de plus près l’extérieur. De gigantesques séquoias aux troncs larges de plusieurs mètres formaient une dense forêt.
     La voix de la femme expliqua quelques informations aux visiteurs qui avaient soif de savoir.
     - Ces séquoias, véritables tours naturelles, avaient été plantés là il y a des années, en 2004 lors de la construction de l’attraction. Ils proviennent d’une forêt californienne où ils y étaient depuis de très nombreuses années. En effet, il aurait fallu des centaines d’années après que les graines aient été plantées pour obtenir ce résultat spectaculaire, symbole de la puissance de la nature.
     John prit une photo de ces arbres ainsi que du sol boueux, pleines de feuilles mortes. Des squelettes et des carcasses d’animaux gisaient sur le sol. Une chèvre en pleine décomposition se trouvait par terre, dévorée par les asticots, les vers de terre et par quelques rongeurs affamés. Un nuage de mouches volait au dessus d’elle, se posait parfois dessus. Le pauvre animal n’avait visiblement pas plu à son prédateur qui n’y avait quasiment pas touché. Il s’était contenté de lui briser la nuque par la force de ses mâchoires et de la laisser tomber lamentablement dans la boue telle une fleure morte. La chèvre paralysée, mais bien vivante, se fracassa ce qui éclaboussa les alentours. Puis elle se vida de son sang, pendant des minutes, sous les yeux stupéfaits des visiteurs. Ces derniers se prenaient en photo, sourire au visage, devant l’animal agonisant, attendant son heure. Personne ne se souciait de son sort. Personne ne voulait l’aider à partir en paix et en douceur. Au lieu de cela, ils se contentaient de rigoler et de publier fièrement leurs photos sur leurs comptes Facebook et Twitter. Quelques enfants et personnes étaient choquées mais très peu par rapport aux autres qui en voulaient toujours plus… Cet endroit n’était pas une attraction. Non. Il s’agissait d’une boucherie, d’un abattoir, où l’on envoyait des animaux pour mourir, sans aucune forme de respect.
     La chèvre était toujours là, elle n’avait point bougé depuis les quelques jours qu’elle était là… De ses yeux pourtant brillants et inoffensifs, sortait maintenant un vers dans son nouveau logement. Le sang se mêlait aux flaques d’eau. Les rares morceaux de chaire qui avaient été arrachés étaient en putréfactions, devenus grisâtres et noirâtres. Son pelage noir et blanc n’était plus doux. Il était désormais sec et taché de sang pourpre. L’animal gisait là, prêt d’un des très nombreux séquoias, presque utilisé comme décor.
     John se reteint de vomir à la vue de cette horreur. Une horreur que peu de touristes avaient remarqué.
     N’y pense pas, se dit-il, c’est normal c’est la nature.
     La voix poursuivit sa tirade.
     - Pour les transporter jusqu’ici, il a fallut un long travail de déracinement. Puis ils ont été transportés par 2 hélicoptères pour chaque arbre vers un cargo qui les a amené jusqu’ici, dans ce fabuleux spectacle !
     Ils arrivèrent à un endroit avec une baie vitrée beaucoup plus grande, à échelle humaine.
     - Vous voilà arrivé, annonça la voix. Etes-vous prêt à admirer notre Tyrannosaurus rex ?! Vous serez certainement étonné d’apprendre que ce spécimen vit ici depuis près de 25 ans ! D’abord fabriquée par les scientifiques de Jurassic Park, l’animal fut capturé bien plus tard en 2002 par les équipes d’InGen et de l’ACU pour devenir le symbole et la meilleure attraction de Jurassic World ! Notre régisseur va préparer le repas du roi du Crétacé, veuillez patienter quelques secondes.
     A cet instant, une trappe s’ouvrit et une chèvre –sur un plateau qui se levait- apparut attachée par une chaine.
     - Et voilà le repas du T-rex, poursuivit la narratrice.
     Pitié, faites qu’elle ne subira pas le même sort que l’autre, pensa John.
     Une fumigène rouge vola et tomba à proximité de l’animal calme et qui ne savait pas encore la destiné qui lui avait été soigneusement réservée.
     - Nous savons désormais depuis peu de temps que le T-rex est peu réceptif à la chaleur. Nous avons quand même gardé rien que pour vous la tradition du lancé de fumigène.
     Un tremblement se fit sentir et les genoux des visiteurs se pliaient sous la puissance du choc. Puis un autre. On aurait dit un séisme.
      - L’attention est à son comble, je crois que le « roi des lézards tyrans » à senti la nourriture ! Ne vous inquiétez pas, vous vous trouvez actuellement dans un tube en béton armé capable de subir de nombreux assauts de ce tyrannosaure. Un véritable dieu du crash test ! De plus, les doubles vitres sont épaisses de plusieurs centimètres. Votre sécurité est notre priorité ! Quant à notre régisseur, il est perché assez haut pour que le dinosaure ne puisse l’atteindre.
     Les pas se rapprochèrent, de plus en plus vite, de plus en plus forts, jusqu’à devenir un tremblement continu. Les visiteurs se pressèrent contre la vitre, se bousculaient. John était devant, aux premières loges pour assister à l’exécution. Son cœur bâta à tout rompre.
      La chose apparut finalement sur la droite. Haute, massive, puissante. Elle se tenait sur ses pattes musclées, légèrement pliées et permettaient de supporter les plusieurs tonnes que pesait son corps. Sa longue queue remuait comme un balancier et servait à équilibrer le poids le long du corps. Sa tête était grosse et extrêmement puissante, capable de briser n’importe quoi qui puisse passer à sa portée. Les dents courbées du haut, tranchantes, passaient devant la mâchoire du bas. Ses yeux humides fixaient la chèvre intensément.  
     Le T-rex était en mouvement. Il marchait d’un pas rapide et lourd vers sa victime. La chèvre essaya de s’enfuir mais elle était retenue par la chaîne. Le piquet au quelle elle était attaché se pliait mais ne rompait pas. La petite chèvre à la robe noire et marron poussait des beuglements de désespoir face à son prédateur qui s’approchait d’elle sans lui laisser une seule chance. Le T-rex ouvrit sa gueule, se pencha et attrapa l’animal au passage. Le piquet s’arracha. La chèvre, encore vivante se débattait, coincée entre les dents du dinosaure qui s’étaient enfoncés d’une vingtaine de centimètres dans son corps fragile. Le Tyrannosaure ferma un peu plus la mâchoire. Un craquement se fit entendre. Les os de la chèvre s’étaient tous brisés. Elle était morte…
     C’était l’euphorie dans le faux tronc d’arbre. Ce spectacle, glauque et lugubre amusait tout le monde. Lorsqu’il entendit le craquement, John frissonna et baissa les yeux. Son père et sa mère regardaient, ainsi que les autres visiteurs, l’action. Clarissa était pendant ce temps là sur son portable, écouteurs aux oreilles, appuyée contre la vitre, dos à la scène.
      Du sang et de la bave coulaient de la gueule du prédateur affamé. Il avala le reste de la chèvre en levant d’un coup sec sa tête. Lorsqu’il claqua ses mâchoires, la chaîne se brisa et tomba avec le piquet.
     - On pourrait croire, reprit la voix, que les petits bras du Tyrannosaurus Rex sont fragiles. Mais cela est faux, ils sont incroyablement puissant. Notre spécimen mesure près de 12 mètres de long pour 9 tonnes. Et sachez qu’il peut mordre avec une force supérieure à 5 800kg !
     John avait l’appareil photo en main mais ne l’utilisait pas, trop choqué pour cela. Il regarda son père qui pourtant s’amusait. Il appuya finalement sur le bouton et prit la photo, pas pour lui mais pour son père. Pour qu’il puisse garder un souvenir de son voyage qui s’annonçait inoubliable. Le T-rex poussa un rugissement qui fit trembler les vitres, il se trouvait juste en face. John prit une nouvelle photo de cet instant. Puis, il remarqua qu’il avait devant lui son dinosaure préféré, en chair et en os. Il oublia soudainement les horribles images qu’il avait aperçut il y a quelques secondes avec la chèvre. Sa bouche forma un sourire et ses yeux marron pétillèrent. Les visiteurs le bousculaient, l’écrasaient contre la vitre mais il ne disait rien. Il était heureux, du moins pour l’instant… Les images de la chèvre revinrent quand il vit des morceaux de chaire jaillir de sa bouche.
     Enfin, l’animal reparti d’où il était venu et disparu derrière les séquoias géants.
     La voix de la femme revint quant à elle :
     - Le spectacle est désormais terminé, veuillez poursuivre votre chemin vers la sortie au fond du couloir. N’hésitez pas à observer l’extérieur au cas où le Tyrannosaure aurait décidé de vous dire au revoir !
     Les visiteurs reprirent la marche non sans prendre leur temps, ce qui énervait Marc. Ce bouchon inutile allait retarder son programme ! Chaque visiteur regardait la vitre en espérant revoir le dinosaure emblème du parc. Ils arrivèrent à la sortie, au fond du tube. Le mot « sortie » était écrit en plusieurs langues, alternant entre blanc et jaune, sur un fond bleu turquoise.
     Une voix masculine, l’une de celles entendues sur le quai, sortait de hauts parleurs :
     - Merci de vôtre visite au Royaume du T-rex ! N’hésitez pas à revenir faire le plein de sensations fortes plus tard, le prochain repas aura lieu dans 2 heures. Il faut bien que notre dinosaure digère un peu ! 
     Non merci, se dit John, j’en ai déjà vu assez.
     Ils descendirent un large escalier en bois, de quelques marches. Le soleil se cogna à eux violemment. Après avoir passé tant de temps dans ce tube, au frais, la chaleur paraissait plus insupportable maintenant.
     Ils étaient encore une fois bordés de faux murs en pierre, imitant ceux des châteaux forts. La musique guerrière et préhistorique qu’ils avaient entendue précédemment poursuivait sa lecture inlassablement. Il est vrai que les musiques d’ambiance du parc étaient particulièrement réussies. Elles avaient le pouvoir de vous plonger directement dans les différentes ambiances des attractions du parc. Celle là était redoutablement efficace. Elle symbolisait le côté préhistorique du dinosaure avec les percussions aigues et graves, les voix guerrières représentaient l’instinct de chasse de l’animal…
     Les Smith passèrent le portail du spectacle. Cette fois-ci, Main Street était de nouveau bondé. Les visiteurs avaient quittés pour la plupart les restaurants et autres sandwicheries. Certains partaient vers le Samsung Innovation Center pendant que d’autres en sortaient, certains allaient en direction du Gentle Giant Peeting Zoo, etc. Une véritable fourmilière…
     - Où va-t-on maintenant ? Demanda Lizzy.
     Marc jeta un coup d’œil à sa montre.
     - Direction le lagon pour l’Observatoire Sous-marin.  Il est 14h45, on a encore le temps, fit-il avec un sourire avant d’embrasser sa femme.
     John n’avait quasiment rien entendu, trop plongé dans ses pensées pour entendre quoi que ce soit. Il repensait à cette chèvre. On ne lui avait donné aucune chance.

     Le T-rex peut paraître cruel mais il mange pour se nourrir et chasser. Ici l’Homme ne mange pas la chèvre, il l’envoie à la mort, sans aucune compassion, pour de l’argent et se divertir… L’Homme a-t-il le droit de jouer avec la nature ? De décider qui allait vivre et qui allait mourir ? De prendre ou donner la vie ? Un jour, la nature se réveillera et rétablira l’équilibre, comme elle l’avait fait avec les dinosaures…