Chapitre VIII
La
reine d’Isla Nublar
Marc sortit son petit portefeuille en cuir
noir de sa poche arrière. Il déplia celui-ci, prit la carte bancaire d’un des
compartiments et l’emboîta dans l’appareil. Il se trouvait actuellement au
comptoir d’accueil du restaurant spécialisé dans les grillades. Ce comptoir
était en bois avec l’enseigne Winston’s en
métal qui dépassait et créait un effet 3D.
Le serveur, un jeune homme souriant vêtu
d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, rendit la carte à son propriétaire
avec un large sourire et le remercia en lui souhaitant une agréable journée.
Les Smith lui rendirent la pareil et quittèrent le restaurant le ventre plein.
Marc tapota le sien grossièrement en le
gonflant.
- Je ne sais pas vous mais j’ai trop mangé !
Lizzy Smith émit un rire qui raisonna dans
Main Street.
- Mange, tu ne sais pas qui va te manger,
renchérit-elle.
La famille se trouvait en face du Samsung Innovation Center avec ses
magnifiques fontaines qui produisaient des clapotis apaisant. L’avenue
principale n’était gère pleine comparé à plus tôt. Un élément soigneusement
planifié par Marc qui avait su comprendre quand les visiteurs allaient partir
manger dans les différents restaurants et services que proposaient le parc.
C’était le principal point fort du père de famille. Tout ce qu’il pouvait
planifier, il le planifiait. Tout. Evidement, pour ce petit week-end à Jurassic World, il avait tout préparé
comme un général prépare sa stratégie. Seul lui et Lizzy connaissaient le plan,
pour ne pas leur gâcher la surprise. Marc le connaissait sur le bout des
doigts.
Un portail se dressait sur leur gauche tel
un nouveau monde, un territoire non contrôlé par l’Homme : Le Tyrannosaurus Rex Kingdom.
L’attraction phare du parc, celle rencontrant le plus de succès –après le Gentle Giant Peeting Zoo- auprès des
très nombreux visiteurs voulant observer et admirer le « Roi des lézards
tyrans ». Parfois, quand on se baladait sur les rives nord du lagon, on
pouvait entendre le puissant rugissement de l’animal qui se répercutait sur les
montagnes, faisant envoler un nombre incalculable d’oiseaux. Il pouvait même
arriver parfois qu’il réponde à celui projeté dans l’attraction IMAX Pterosauria.
Le portail ressemblait quelque peu à celui
aperçut plus tôt, traversé par le monorail. Le nom du parc était attaché en
haut, perché à une dizaine de mètres du sol. A côté, un troupeau de visiteurs
de nationalités différentes sortirent de la station de monorail du coin.
- On peut y aller ? Demanda John,
pressé de découvrir son dinosaure préféré.
- C’est parti, lança Lizzy avant même que
Marc n’ouvre la bouche.
Ils passèrent juste en dessous du portail
qui les dominait. John l’inspecta dans les moindres détails en passant. De la
petite fissure jusqu’aux petits plis des fausses pierres. Le large chemin
bétonné se divisa en deux. Les Smith prirent la partie de droite
instinctivement, bercés par une musique d’ambiance qui sortait des plantes qui
se trouvaient sur les bords. Elle était composée de tambours et d’autres instruments
à percussion qui produisaient une sorte
de musique guerrière. Des voix masculines viriles l’accompagnaient renforçant
le côté tribal et l’impression de pénétrer dans un monde préhistorique.
Ils se trouvaient dans un grand couloir à
l’air libre bordé de murs en fausse pierre. Des plantes tropicales avaient été
soigneusement installées près de ces murs sur des cailloux blancs. Une nuée de
cloueurs resplendissait dans les lieux avec de splendides fleurs importées du
monde entier. La famille arriva dans un espace moins restreint mais toujours
entouré des faux murs. Un labyrinthe de barrières se formait devant eux avec d’autres
visiteurs. Marc et sa famille prirent une voie sur la gauche, spécialement
réservée pour les visiteurs possédant un RaptorPass.
Les briques sur le sol venaient d’être
lavées et étaient encore humides. Cette humidité se sentait dans l’air avec des
brumisateurs qui vaporisait de l’eau sur les visiteurs en quête de fraîcheur et
de sensations fortes.
Une voix de femme –la même que sur le quai
et Main Street- sortit des hauts
parleurs :
- Bienvenue au Royaume du T-rex, nous vous
rappelons que cette attraction est susceptible d’impressionner les plus jeunes.
Clarissa ne put s’empêcher de se moquer de
son frère.
- N’est-ce pas John ? Fit-elle sur un
ton supérieur.
John savait ce qu’il allait lui répondre,
il avait de la réparti.
- Dit celle qui pleure dès qu’elle voit
une araignée… Commenta t-il.
Marc, qui suivait la scène avec amusement,
ne pu se retenir d’aider son fils.
- Et 1 à 0 pour John ! Clarissa tu
peux retourner te coucher.
- C’est parti, ils vont recommencer… Se
plaignit Lizzy. Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Ca allez mieux depuis tout à
l’heure pourtant.
- C’est lui qui a commencé ! Mentit
sa fille.
- Quoi ?! Arrête de fumer des
fougères, je ne t’ai rien fait !
Marc, voyant la situation dégénérer,
décida d’intervenir puisque c’était son rôle en temps que père de famille de
faire la loi. Mais aussi pour paraître bien aux yeux de sa femme.
- Stop ! On va se calmer et attendre
que le spectacle commence. D’accord ?
John et Clarissa se tournaient le dos, en
croisant les bras comme ils le faisaient à chaque fois qu’ils se chamailler.
Un panneau bleu turquoise était accroché
juste à leur gauche. Il s’agissait d’un panneau informatif que l’on retrouvait
dans chaque attraction.
On pouvait lire :
« T-REX
NOURRIT DANS 2 MIN 00 »
Ces 2 minutes furent interminables en raison
de la chaleur qui s’accumulait dans ce petit espace et des nouvelles
chamailleries entre les deux adolescents. Ils se disputaient pour des raisons
insignifiantes, allant du « tu m’as donné un coup de coude » à
« rends-moi ma brochure ! ».
Puis un employé descendit les petits
escaliers métalliques en vitesse, clefs à la main. Il ouvrit la petite barrière
en métal marron devant les Smith pour qu’ils puissent rentrer avant de la
refermer à nouveau. Il procéda de la même manière avec les visiteurs lambda
–ceux qui n’avaient pas de RaptorPass.
Marc, Lizzy, John et Clarissa étaient en tête de fils, accompagnés d’une armée
de visiteurs voulant apercevoir un Tyrannosaure. Un animal ressuscité par le
pouvoir de la génétique…
Ils se trouvaient dans une sorte d’énorme
tube boisé pouvant laisser entrer facilement des personnes de plus de 2 mètres
de haut. L’intérieur était recouvert de bois par endroit, d’autres étaient
peint en marron ou en beige. De longues doubles baies vitrées s’étendaient sur
des dizaines et des dizaines mètres. Elles permettaient de laisser passer de la
lumière et voir de plus près l’extérieur. De gigantesques séquoias aux troncs
larges de plusieurs mètres formaient une dense forêt.
La voix de la femme expliqua quelques
informations aux visiteurs qui avaient soif de savoir.
- Ces séquoias, véritables tours
naturelles, avaient été plantés là il y a des années, en 2004 lors de la
construction de l’attraction. Ils proviennent d’une forêt californienne où ils
y étaient depuis de très nombreuses années. En effet, il aurait fallu des
centaines d’années après que les graines aient été plantées pour obtenir ce
résultat spectaculaire, symbole de la puissance de la nature.
John prit une photo de ces arbres ainsi
que du sol boueux, pleines de feuilles mortes. Des squelettes et des carcasses
d’animaux gisaient sur le sol. Une chèvre en pleine décomposition se trouvait
par terre, dévorée par les asticots, les vers de terre et par quelques rongeurs
affamés. Un nuage de mouches volait au dessus d’elle, se posait parfois dessus.
Le pauvre animal n’avait visiblement pas plu à son prédateur qui n’y avait
quasiment pas touché. Il s’était contenté de lui briser la nuque par la force
de ses mâchoires et de la laisser tomber lamentablement dans la boue telle une
fleure morte. La chèvre paralysée, mais bien vivante, se fracassa ce qui éclaboussa
les alentours. Puis elle se vida de son sang, pendant des minutes, sous les
yeux stupéfaits des visiteurs. Ces derniers se prenaient en photo, sourire au
visage, devant l’animal agonisant, attendant son heure. Personne ne se souciait
de son sort. Personne ne voulait l’aider à partir en paix et en douceur. Au
lieu de cela, ils se contentaient de rigoler et de publier fièrement leurs
photos sur leurs comptes Facebook et Twitter. Quelques enfants et personnes
étaient choquées mais très peu par rapport aux autres qui en voulaient toujours
plus… Cet endroit n’était pas une attraction. Non. Il s’agissait d’une
boucherie, d’un abattoir, où l’on envoyait des animaux pour mourir, sans aucune
forme de respect.
La chèvre était toujours là, elle n’avait
point bougé depuis les quelques jours qu’elle était là… De ses yeux pourtant
brillants et inoffensifs, sortait maintenant un vers dans son nouveau logement.
Le sang se mêlait aux flaques d’eau. Les rares morceaux de chaire qui avaient
été arrachés étaient en putréfactions, devenus grisâtres et noirâtres. Son
pelage noir et blanc n’était plus doux. Il était désormais sec et taché de sang
pourpre. L’animal gisait là, prêt d’un des très nombreux séquoias, presque
utilisé comme décor.
John se reteint de vomir à la vue de cette
horreur. Une horreur que peu de touristes avaient remarqué.
N’y
pense pas, se dit-il, c’est normal
c’est la nature.
La voix poursuivit sa tirade.
- Pour les transporter jusqu’ici, il a
fallut un long travail de déracinement. Puis ils ont été transportés par 2
hélicoptères pour chaque arbre vers un cargo qui les a amené jusqu’ici, dans ce
fabuleux spectacle !
Ils arrivèrent à un endroit avec une baie
vitrée beaucoup plus grande, à échelle humaine.
- Vous voilà arrivé, annonça la voix. Etes-vous
prêt à admirer notre Tyrannosaurus rex ?!
Vous serez certainement étonné d’apprendre que ce spécimen vit ici depuis près
de 25 ans ! D’abord fabriquée par les scientifiques de Jurassic Park, l’animal fut capturé bien
plus tard en 2002 par les équipes d’InGen
et de l’ACU pour devenir le symbole
et la meilleure attraction de Jurassic
World ! Notre régisseur va préparer le repas du roi du Crétacé,
veuillez patienter quelques secondes.
A cet instant, une trappe s’ouvrit et une
chèvre –sur un plateau qui se levait- apparut attachée par une chaine.
- Et voilà le repas du T-rex, poursuivit
la narratrice.
Pitié, faites
qu’elle ne subira pas le même sort que l’autre, pensa John.
Une fumigène rouge vola et tomba à
proximité de l’animal calme et qui ne savait pas encore la destiné qui lui
avait été soigneusement réservée.
- Nous savons désormais depuis peu de
temps que le T-rex est peu réceptif à la chaleur. Nous avons quand même gardé
rien que pour vous la tradition du lancé de fumigène.
Un tremblement se fit sentir et les genoux
des visiteurs se pliaient sous la puissance du choc. Puis un autre. On aurait
dit un séisme.
- L’attention est à son comble, je crois
que le « roi des lézards tyrans » à senti la nourriture ! Ne
vous inquiétez pas, vous vous trouvez actuellement dans un tube en béton armé
capable de subir de nombreux assauts de ce tyrannosaure. Un véritable dieu du
crash test ! De plus, les doubles vitres sont épaisses de plusieurs
centimètres. Votre sécurité est notre priorité ! Quant à notre régisseur,
il est perché assez haut pour que le dinosaure ne puisse l’atteindre.
Les pas se rapprochèrent, de plus en plus
vite, de plus en plus forts, jusqu’à devenir un tremblement continu. Les
visiteurs se pressèrent contre la vitre, se bousculaient. John était devant,
aux premières loges pour assister à l’exécution. Son cœur bâta à tout rompre.
La chose apparut finalement sur la
droite. Haute, massive, puissante. Elle se tenait sur ses pattes musclées,
légèrement pliées et permettaient de supporter les plusieurs tonnes que pesait
son corps. Sa longue queue remuait comme un balancier et servait à équilibrer
le poids le long du corps. Sa tête était grosse et extrêmement puissante,
capable de briser n’importe quoi qui puisse passer à sa portée. Les dents
courbées du haut, tranchantes, passaient devant la mâchoire du bas. Ses yeux
humides fixaient la chèvre intensément.
Le T-rex était en mouvement. Il marchait
d’un pas rapide et lourd vers sa victime. La chèvre essaya de s’enfuir mais
elle était retenue par la chaîne. Le piquet au quelle elle était attaché se
pliait mais ne rompait pas. La petite chèvre à la robe noire et marron poussait
des beuglements de désespoir face à son prédateur qui s’approchait d’elle sans
lui laisser une seule chance. Le T-rex ouvrit sa gueule, se pencha et attrapa
l’animal au passage. Le piquet s’arracha. La chèvre, encore vivante se
débattait, coincée entre les dents du dinosaure qui s’étaient enfoncés d’une
vingtaine de centimètres dans son corps fragile. Le Tyrannosaure ferma un peu
plus la mâchoire. Un craquement se fit entendre. Les os de la chèvre s’étaient
tous brisés. Elle était morte…
C’était l’euphorie dans le faux tronc
d’arbre. Ce spectacle, glauque et lugubre amusait tout le monde. Lorsqu’il
entendit le craquement, John frissonna et baissa les yeux. Son père et sa mère
regardaient, ainsi que les autres visiteurs, l’action. Clarissa était pendant
ce temps là sur son portable, écouteurs aux oreilles, appuyée contre la vitre,
dos à la scène.
Du sang et de la bave coulaient de la
gueule du prédateur affamé. Il avala le reste de la chèvre en levant d’un coup
sec sa tête. Lorsqu’il claqua ses mâchoires, la chaîne se brisa et tomba avec
le piquet.
- On pourrait croire, reprit la voix, que
les petits bras du Tyrannosaurus Rex
sont fragiles. Mais cela est faux, ils sont incroyablement puissant. Notre
spécimen mesure près de 12 mètres de long pour 9 tonnes. Et sachez qu’il peut
mordre avec une force supérieure à 5 800kg !
John avait l’appareil photo en main mais
ne l’utilisait pas, trop choqué pour cela. Il regarda son père qui pourtant
s’amusait. Il appuya finalement sur le bouton et prit la photo, pas pour lui
mais pour son père. Pour qu’il puisse garder un souvenir de son voyage qui
s’annonçait inoubliable. Le T-rex poussa un rugissement qui fit trembler les
vitres, il se trouvait juste en face. John prit une nouvelle photo de cet
instant. Puis, il remarqua qu’il avait devant lui son dinosaure préféré, en
chair et en os. Il oublia soudainement les horribles images qu’il avait aperçut
il y a quelques secondes avec la chèvre. Sa bouche forma un sourire et ses yeux
marron pétillèrent. Les visiteurs le bousculaient, l’écrasaient contre la vitre
mais il ne disait rien. Il était heureux, du moins pour l’instant… Les images
de la chèvre revinrent quand il vit des morceaux de chaire jaillir de sa
bouche.
Enfin, l’animal reparti d’où il était venu
et disparu derrière les séquoias géants.
La voix de la femme revint quant à
elle :
- Le spectacle est désormais terminé,
veuillez poursuivre votre chemin vers la sortie au fond du couloir. N’hésitez
pas à observer l’extérieur au cas où le Tyrannosaure aurait décidé de vous dire
au revoir !
Les visiteurs reprirent la marche non sans
prendre leur temps, ce qui énervait Marc. Ce bouchon inutile allait retarder
son programme ! Chaque visiteur regardait la vitre en espérant revoir le
dinosaure emblème du parc. Ils arrivèrent à la sortie, au fond du tube. Le mot
« sortie » était écrit en plusieurs langues, alternant entre blanc et
jaune, sur un fond bleu turquoise.
Une voix masculine, l’une de celles
entendues sur le quai, sortait de hauts parleurs :
- Merci de vôtre visite au Royaume du
T-rex ! N’hésitez pas à revenir faire le plein de sensations fortes plus
tard, le prochain repas aura lieu dans 2 heures. Il faut bien que notre
dinosaure digère un peu !
Non merci, se dit John, j’en ai déjà vu assez.
Ils descendirent un large escalier en
bois, de quelques marches. Le soleil se cogna à eux violemment. Après avoir
passé tant de temps dans ce tube, au frais, la chaleur paraissait plus
insupportable maintenant.
Ils
étaient encore une fois bordés de faux murs en pierre, imitant ceux des
châteaux forts. La musique guerrière et préhistorique qu’ils avaient entendue
précédemment poursuivait sa lecture inlassablement. Il est vrai que les
musiques d’ambiance du parc étaient particulièrement réussies. Elles avaient le
pouvoir de vous plonger directement dans les différentes ambiances des
attractions du parc. Celle là était redoutablement efficace. Elle symbolisait
le côté préhistorique du dinosaure avec les percussions aigues et graves, les
voix guerrières représentaient l’instinct de chasse de l’animal…
Les Smith passèrent le portail du
spectacle. Cette fois-ci, Main Street
était de nouveau bondé. Les visiteurs avaient quittés pour la plupart les
restaurants et autres sandwicheries. Certains partaient vers le Samsung Innovation Center pendant que
d’autres en sortaient, certains allaient en direction du Gentle Giant Peeting Zoo, etc. Une véritable fourmilière…
- Où va-t-on maintenant ? Demanda
Lizzy.
Marc jeta un coup d’œil à sa montre.
- Direction le lagon pour l’Observatoire Sous-marin. Il est 14h45, on a encore le temps, fit-il
avec un sourire avant d’embrasser sa femme.
John n’avait quasiment rien entendu, trop
plongé dans ses pensées pour entendre quoi que ce soit. Il repensait à cette
chèvre. On ne lui avait donné aucune chance.
Le
T-rex peut paraître cruel mais il mange pour se nourrir et chasser. Ici l’Homme
ne mange pas la chèvre, il l’envoie à la mort, sans aucune compassion, pour de
l’argent et se divertir… L’Homme a-t-il le droit de jouer avec la nature ?
De décider qui allait vivre et qui allait mourir ? De prendre ou donner la
vie ? Un jour, la nature se réveillera et rétablira l’équilibre, comme
elle l’avait fait avec les dinosaures…